Récit de la première Rencontre Publique organisée par l’Université Foraine de Bataville.
« Bataville, territoire d’une utopie. »
Pour dessiner et partager les bases d’une réflexion sur l’avenir de ce site à l’histoire exceptionnelle. Qu’est-ce que ce territoire, quelle histoire l’a construit, quelle vie l’anime encore, quelles premières pistes de réinvestissement pour cette utopie urbaine réalisée ?
La rencontre a commencé par une balade ensoleillée sur une première portion de GR BATA, fraîchement taillée et aménagée, menée par Liliana Motta, artiste-botaniste et fondatrice du Laboratoire du Dehors. Un parcours en dehors des chemins habituels pour regarder Bataville autrement, dans son environnement, retrouver du lien entre les choses et se rendre compte à nouveau de l'exceptionnel paysage du Pays des Etangs dans lequel Bata est venu ancrer sa cité. Un sol plein d’opportunités. Regardez comment, en imaginant des aménagements simples et modestes, en une poignée de jours et quelques tours de bras, on peut ouvrir d’autres perspectives, et emmener en douceur vers l’idée d’autres usages possibles, comment là, on peut faire du déchet végétal un élément de paysage, et comment enfin, « les mains dans les poches ! », on pourrait avoir la possibilité d’assumer un sol pollué plutôt que de le cacher, de considérer et d’accompagner le réinvestissent végétal comme technique douce de dépollution.
De retour à l'abri, à défaut d'être au chaud, dans l’ancienne salle des fêtes de Bataville, c’est Patrick Bouchain, à l’origine de la création de Notre Atelier Commun et de la démarche d’Université Foraine, qui rappelle dans quelle dynamique cette rencontre prend place. Parce qu’il faut habiter pour comprendre, agir pour faire émerger les mille potentiels d’un tel site, partager pour se poser les bonnes questions.
Premier témoignage, celui de Jean-Paul Kohler, ancien Batamen, depuis 58 ans habitant de Moussey-Bataville. Après avoir rappelé l’historique de la formidable aventure industrielle Bata, sa dimension mondiale, son réseau de sites de production bata-nommés, ce mythe d’un patron mort en avion, il évoque le cas particulier de notre Bataville, dont l’emplacement, en pleine campagne mosellane, était loin d’être anodin. Au croisement entre voie d’eau et voie ferrée, proche de la RN4, Bataville se situait aussi loin de l’influence sociale des grandes villes de l’Est français. Là s’est dessiné un aménagement du territoire rigoureux, à visée autarcique et aux dimensions standardisées, dont les bâtiments accueillaient aussi bien l’avant-garde de l’industrie de la chaussure que les dernières innovations de l’habitat moderne organisées en cité-jardin à l’image de la cité-mère de Zlin, en Tchéquie. Bataville, terre d’expérimentation en vase clos, ayant accueilli jusqu’à 2700 salariés, s’enorgueillait ainsi de son usine modèle, de ses écoles, de ses centres de formation, équipements de sport, piscine, église, de son centre social, avec cinéma, bar, restaurant et salle des fêtes, de ses services de santé, de sa ferme et de ses abattoirs fournissant les commerces locaux. « Les bons souvenirs restent… » Conclue-t-il.
Ces souvenirs, qui ont fait le territoire, s’entremêlent aujourd’hui à un tissu d’activités qui, quoique discrètes en comparaison d’un passé foisonnant, font encore vivre la cité et l’usine. C’est Adrien Zammit, graphiste du Collectif Formes Vives, qui a relevé le défi d’essayer de raconter tout cela in situ, en esquissant dans Bataville « une signalétique multicouches, où s’enchevêtrent plusieurs typologies d’informations : du pratique et du sensible, du présent et du passé, du terre-à-terre et de l’humour, du près et du lointain. » Des panneaux en bois de palettes, récupéré sur site, font ainsi proposition pour diverses balades possibles, pistes non exhaustives pour la découverte d’un territoire complexe, liens et récits. « Par la dimension des panneaux et les informations bariolées qu’on y trouve, c’est clairement une signalétique pour des promeneurs plutôt qu'une signalétique « fonctionnelle » pour automobilistes et gens pressés. Nous avons voulu que cette signalétique s’adresse à des personnes très différentes et, par certains choix dans le décalé ou l’anecdotique, que tous y trouvent matière à sourire. » Premières pistes sur une façon de raconter le site aux curieux de passage.
Faire lien, investir, s’investir. Par un récit dessiné, vidéo, sonore, et surtout spatialisé, c’est Daria Lippi qui prend la suite d’Adrien Zammit pour évoquer le parcours de la Fabrique Autonome des Acteurs, depuis 3 ans sur Bataville. D’ateliers en laboratoires, de festival en festival (Bata-City 2014 - Bata-Town 2015), réinterrogeant la pratique de l’acteur, les notions d’apprentissage continu et de recherche fondamentale, la FAA a arpenté les paysages multiples offerts par Bataville. Accueillant des acteurs de diverses disciplines, croisant les pratiques de photographes ou neuroscientifiques, expérimentant les différents espaces comme plateaux variés et inspirants, elle a rencontré le territoire et ses habitants, tissé des liens par l’expérience physique des lieux. De la salle des fêtes à l’entrepôt sous cheds, de la forêt à l’étang, dehors, dedans, à coup de roulades dans les prairies ou de cascades sur les toits, de concert dans l’église ou de marche collective dans l’usine, ces regards et actions artistiques dressent un tableau sensible du territoire, une toile qui ne demande qu’à s’enrichir encore.
Après une courte pause, c’est Hervé Marchal, sociologue urbain et professeur à l'Université de Lorraine, qui prend la parole pour remettre ces récits batavillois en perspective. Bataville, territoire d’une utopie ? Mais qu’entend-t-on par utopie ? Charles Fourier ou Le Corbusier, parmi d’autres, ont imaginé des sociétés utopiques. Quelles caractéristiques communes ? L’utopie c’est la cité de l’homme faite par l’homme, l’homme qui décide d’agir, de faire son destin, d’inventer un nouveau monde en s’affranchissant du passé et de toute sorte de religion. Basée sur un principe d’espérance, « tout peut se construire ! », l’utopie doit donner du sens, lever l’angoisse, « c’est un super anxiolytique ». Ville protectrice, organisée, rationnelle, cité « juste » où le principe d’égalité doit permettre de créer une société humaine harmonieuse, l’utopie donne à chacun une place, et organise tous les moments de la vie en une « mécanique bien huilée ». Reposant sur un postulat spatial, l’utopie, localiste, trace son monde et dessine un cadre matériel qui a pour but d’influencer l’être humain, de lui permettre de s’épanouir, qu’il le veuille ou non, en homme complet aux facultés multiples. Rassurant, engageant ? « Quand l’identité individuelle n’est pas prise en compte, ça coince. » Le défi des utopies d’aujourd’hui ? Aborder la question de l’égalité sans supprimer les marges de liberté, imaginer une société où les hommes se rencontrent tout en permettant à chacun de se construire individuellement.
Alexandre Vittel, directeur-adjoint du Familistère de Guise, vient compléter cette intervention sur l’utopie urbaine par l’exemple du fameux ensemble imaginé et construit par Godin dans les années 1860-1880. Inspiré du Phalanstère de Fourier, le Familistère de Guise, palais du peuple, avait pour vocation de proposer aux familles des ouvriers confort moderne et épanouissement. Sa construction en briques n’est pas le seul point commun avec Bataville. A proximité de l’eau, doté d’une piscine et d’écoles, de lieux dédiés aux loisirs et à la fête, le Familistère a abrité 5 générations d’ouvriers d’une usine modèle, leader mondial sur le marché des poêles. Fermé en 1969, il est aujourd’hui le berceau d’un projet mixte de revalorisation, à la fois musée et théâtre, centre de recherche sur l’utopie, lieu de création et de diffusion, proposant l’hébergement encore, s’imaginant hôtel multistandard, et se faisant siège de réflexions sur l’habitat collectif : pourquoi et comment aujourd’hui imaginerait-t-on habiter ensemble ?
S’ensuit un temps d’échanges. Alors, quelle utopie aujourd’hui ? Les remarques et interrogations fusent. Pourrait-on imaginer une utopie axée sur la décroissance ? Quelle situation de l’homme aujourd’hui dans le monde qui bâtit ? Qui bâtit, et qui pense à ça ? Quid des normes très contraignantes de la construction ?
Pistes de réponses par Hervé Marchal. Dans l’imaginaire utopique, philosophiquement, c’est l’homme qui pense l’homme différemment. Les utopies sont révélatrices de changement. L’utopie interroge demain : dans un contexte de croissance économique à relativiser, comment construire du sens, réintégrer l’homme pour penser autrement le changement ?
Une dernière remarque pour finir. Certains attirent l’attention sur l’écueil de la muséification. Que reste-t-il de l’utopie après l’utopie ? Comment penser la mémoire ?
« On ne réinterprète pas une utopie, on en invente une nouvelle ! » chuchote-on dans l'assemblée.
Un immense merci à tous ceux qui participent à cette aventure avec nous ! Merci pour cette première rencontre publique qui n’aurait pu exister sans vous.
Merci à Ghislain de rendre tout cela possible en mettant à disposition ses magnifiques locaux.
Merci à l’extraordinaire Coco, pour tout.
Merci à Anne-Sophie, fantastique directrice de l’école primaire de Moussey, qui aura osé se lancer avec nous dans une chouette expérience cartographique. Merci à Rayan, Tom, Charlotte, Clément, Valentine, Enzo, Kyllian, Enora, Loïs, Dorian, Lisa, Romain, Nolwenn, Alicia, Oriane, Lucas, Logan, Emily, Nathan, Pollyanna, Yolène et Yoan pour leur enthousiasme, leur énergie et leurs belles idées ! Merci à Valérie et Frédéric d'avoir rejoint le groupe avec leurs classes pendant la balade !
Merci à LPDE, PROCAL et ZAFFAGNI, entreprises batavilloises, pour leurs dons de palettes, cartons ou chutes de papier. Merci à NTS pour son ballet de manitou hyper efficace. Merci à M. Moisson de nous laisser tailler et traverser ses terres. Merci à COMIAGE, Réchicourt et Moussey de nous donner la liberté d'expérimenter sur leurs terrains. Merci à Philippe, Julie, Geneviève, Célia de la CCPE, pour leur présence et leur bonne humeur ! Et merci à la mairie de Moussey pour le Klubaousse et à Ghislain pour les matelas !
Merci à Emma, Domitille, Lise, Nathalie, Marianne, Haik, Ulysse, Arthur, Anatole, Ronan et Anaïs, venus affronter le froid depuis l’INSA de Strasbourg au cours d’un séminaire haut en couleurs. Merci à Louis Piccon d’avoir organisé tout ça. Merci à Catherine, Jean-Paul et Jean-Paul, Ghislain et Frida, pour une belle séance d’échanges historico-pratiques au petit matin. Merci aux frères Cornélius d’avoir accompagné les chantiers de leurs conseils avisés !
Merci à Adrien d'avoir mené l'aventure signalétique, merci pour ces chouettes moements et la mini-boum ! Merci à Alain Gatti pour son récit et ses conseils précieux. Merci à Elina, Florian, Camille et Nicolas, pros de la palette et peintres téméraires, venus de l'ENSAD Nancy pour filer un grand coup de main (et quelques coups de masse) ! Merci à Jehane Dautrey pour l'organisation de leur venue !
Merci à Liliana, Camille, Théo, Laboratoire du Dehors de choc pour un beau chantier paysager et cette balade à travers bois. Un énorme merci à Yvon, Didier et Anne, bénévoles bûcherons-jardiniers au top, même sous la pluie !
Merci à Pauline, du DSAA InSituLab Strasbourg, pour sa belle envie de venir participer à l'aventure via son Diplôme de Fin d'Etudes, pour son énergie folle et ces chaises sorties de terre en moins de deux. Merci à Guillaume, Matthieu, Elora, Johan et Guilhem !
Merci à la Croix Rouge de Sarrebourg qui nous a inondés de délicieux légumes, à la ferme de la Gissière qui nous a fourni en patates parfaites pour la soupe, au poulailler de Lagarde pour les oeufs, à l'Auberge du Diablo'Thym de Blâmont et à la cantine du Collège des Etangs qui nous ont prêté matériel de cuisine et vaisselle, merci à Jean-Paul pour les économes, à Seb et sa Coop' pour le bar... et gros gros merci aux cuisiniers amateurs venus éplucher en musique notre montagne de légumes, surtout à Julie qui s'est occupée de toute cette aventure cuisinière !
Enfin, un très gros merci à Liliana, Jean-Paul Kohler, à Adrien encore, à Daria, Barbara et Juliette de la Fabrique Autonome des Acteurs, à Hervé Marchal et Alexandre Vitel pour leurs interventions ! Merci à Patrick, Loïc et Catherine de leurs présences ! Merci à tous les improvisateurs de la SADIC, à Adrien et son collègue musicien, qui ont mis le feu à la soirée !
Merci à tous ceux qui sont venus, qui partagent, qui y croient !
Merci Michel Michel.
Et à bientôt !